On ne plaisante pas avec sa santé !

En passant la porte d'entrée de chez Jean-Louis, un de ses clients de longue date, Philippe, technico-commercial chez Graindépi, voit tout de suite que cet agriculteur de 43 ans n'est pas dans son assiette. Comme d'habitude, le technicien engage pourtant la conversation sur le ton de la plaisanterie : " Tu m'as l'air fatigué ce matin Jean-Louis, il faudrait peut-être ralentir sur le calva et se remettre au boulot. T'as tes semis de blé qui t'attendent. "

Mais visiblement, Jean-Louis n'a pas le coeur à la rigolade. Philippe ne comprend donc pas la réaction inattendue de son fidèle client, d'ordinaire si jovial. D'autant plus que le TC ne remarque pas tout de suite la Une de " La Normandie libérée " étalée sur son bureau. Le titre aurait pourtant pu l'alerter : " Les pesticides tuent : un agriculteur de la région décède un an après avoir obtenu la reconnaissance de son cancer comme maladie professionnelle. "

" Tu crois que j'ai envie de faire la fête quand je lis des trucs comme ça ? ", se met à hurler Philippe en brandissant le journal. Je le connaissais bien ce gars-là à la fédé. C'est bien les saloperies que vous nous vendez qui nous feront tous crever… "

Philippe tente de calmer Jean-Louis, mais rien n'y fait et l'agriculteur reprend de plus belle : " T'en as rien à faire de notre santé quand tu nous vends tes phytos. Tout ce qui t'intéresse, c'est que notre rendement soit bon, pour t'en mettre plein les poches à la récolte. Et en plus, maintenant, on n'entend parler que d'environnement pour mieux toucher les aides et préserver la planète. Mais notre santé à nous, tout le monde s'en fout de la préserver. "

" Mais c'est pas vrai Jean-Louis, tu sais bien que je t'ai fait une promo sur les masques et les gants l'an dernier. Et puis faut pas croire tout ce que disent les journaux, les phytos aujourd'hui, ils sont moins dangereux qu'autrefois. Le gars dont tu parles, il avait 58 ans, c'était pas la même époque. Et puis rien ne prouve que ce sont les phytos qui l'ont rendu malade, y'a d'autres trucs qui donnent le cancer… "

Mais Philippe n'a pas le temps de terminer... Entrebâillant la porte, Isabelle, la femme de Jean-Louis, les interrompt : " Chéri, le docteur Lacaze est là. Calme-toi un peu et viens lui expliquer où tu as mal. "

Laurent Caillaud